dimanche 18 janvier 2009

Copenhague et Thouars



Il y a quelques années maintenant, à la recherche d'un bateau nommé Georges Perec  échoué sur les plages du Danemark, je passais avec Emmanuel à Copenhague.
Depuis les rues de la ville, nous décidâmes de monter dans une tour incroyable. Cette tour dont la fonction est d'être un observatoire date de 1642. Ce qui est absolument unique c'est qu'il ne s'agit pas là d'un escalier en colimaçon mais d'une pente douce. Et surtout d'une grande largeur, car il me semble que le roi et consorts montaient dans la tour à cheval !
Il s'agit bien là non pas tant d'une architecture que d'une prolongation de la rue. Ici le construit prolonge l'urbain en inventant un espace suffisamment vaste pour que la mobilité, le déplacement ne soient pas bloqués mais ouverts. En fait on pourrait voir cette tour comme un tunnel vertical permettant le passage d'un point à un autre : Sol, Ciel.
Ce tunnel vertical invite le corps du piéton a une inflexion très douce, sans les coups des marches d'un escalier. Le piéton peut, vu la grande largeur de la pente, également se déplacer transversalement, du cylindre central vers les fenêtres, sentir alors la pente plus accentuée au centre mais aussi il peut s'arrêter au bord, voir par les ouvertures la ville qu'il quitte. Il décolle.
Voyez sur cette carte postale que j'avais envoyée à ma grand-mère en 1997, comment la lumière s'amuse des briques au sol et de la blancheur de la chaux sur les murs. Cette douceur contraste avec la relative dureté de la tour vue de l'extérieur qui ressemble à une fortification.
J'ai un souvenir réellement merveilleux de cette expérience urbaine. J'ai mis du temps avant de la rapprocher possiblement d'autres expériences comme le petit musée juif de Daniel Libeskind (également à Copenhague) au sol destructuré ou encore à la fonction oblique de Monsieur Parent. Architectes dont j'ignorais même l'existence à cette époque.
Mais ici le sol ne rejoue pas tant que ça le plafond. La pente est invisible sous la tête qui se promène, elle, sous des arcatures délicates. la section visible ici est la même que quelques mètres plus loin dans un sentiment d'infini assez incroyable. On monte, on descend sans aucune sensation d'étouffement car il s'agit bien là d'une place publique verticale et non d'un boyau mécanique que l'on escalade.
Si donc, la vie vous mène là, passez la porte un rien rébarbative et faites l'expérience de la rue verticale !
la carte postale est une édition Rundetarns Forlag.


Autre expérience du biais.
En 2007, l'artiste Vincent Lamouroux nous propose dans la Chapelle Jeanne d'Arc de Thouars une pièce intitulée "La perspective inclinée (Héliscope)".
On pourrait, juste avec l'image, croire à une chose simple presque froide : un escalier métallique légèrement de guingois. On pourrait penser qu'il s'agit là d'une image qui, comme souvent pour certaines pièces de l'art contemporain, nous dit une expérience mais ne nous invite pas à la vivre. Or, là dans cette chapelle sans grand intérêt architectural on monte.
Et l'objet-image devient un véritable outil à vertige. L'angle léger, si léger qu'il pourrait passer à l'as, sous les pieds du promeneur devient d'une force réellement déstabilisante !
Si forte que je n'ai pu aller jusqu'en haut tant le vide vous appelle, et la fragilité du garde-corps semble alors bien mal porter son nom !
Tout me semble remarquable dans cette pièce. Sa forme ici posée dans une incongruité totale, ne reniant rien de son utilitarisme. Sa couleur, le blanc de la maquette, de la neutralité presque de la transparence, pour troubler le moins possible les fonctions du lieu. Sa proportion, ni trop haute, ni trop basse pouvant ainsi laisser penser à un morceau d'architecture réinvesti (il n'en n'est rien). Le dessin très beau du garde-corps faisant vriller la pièce dans l'espace libre de la croisée des transepts et le piètement triangulé rassurant et frêle en même temps. Enfin le droit de l'arpenter, d'en user, le droit de la vivre. On monte si on veut.
C'est essentiel.
Je suis très jaloux de l'ensemble du travail de Monsieur Vincent Lamouroux.
Je ne sais pas pourquoi j'ai décidé dans cet article de vous proposer ces deux expériences. Soudain quelque chose les rapprochait dans le ton général, la blancheur. Mais aussi dans la jouissance d'un corps totalement obligé de se redéfinir car contraint à une expérience inédite d'espace. 1642 et 2007.
Combien de ziggourats, de pentes, de collines, de supermarchés, de rampes d'accès pour handicapés devrais-je arpenter pour sentir toujours plus mes pieds, mes genoux, et mon bassin au travail, en pleine conscience de leur existence ?

Pour en savoir un peu plus on peut aller là pour Copenhague :
http://passages.ebbs.net/fiches/tourrond.htm
Et pour Vincent Lamouroux ici :
http://www.vincentlamouroux.net/
Je tiens à préciser qu'à Thouars nous avons été parfaitement accueillis dans cette chapelle par une jeune femme qui a su nous faire voir, aimer son lieu. Je ne sais pas son nom mais merci.
La carte postale est une édition du service arts plastiques de la Ville de Thouars et la photographie est de Claude Pauquet.

4 commentaires:

Joachim a dit…

Il faudrait vérifier mais je me demande si le motif de la rampe large "où peuvent passer les chevaux" ne se retrouve pas également dans le Palais du Té à Mantoue.

Liaudet David a dit…

Oui, je vais vérifier.Merci pour cette précision.
Je pense soudain que ce type de prolongation rue-bâtiment se poursuit avec nos parkings contemporains et leurs rampes parfois somptueuses mais, elles, parfaitement interdites aux piétons. Lyon en propose un exemple superbe, souterrain, agrémenté d'une oeuvre de Daniel Buren.

Anonyme a dit…

Le chateau d'Amboise possède le même type de rampe la tour des Minimes ou tour cavalière.
Bravo pour ce blog que je consulte toujours avec plaisir.

Liaudet David a dit…

Il me faudra donc aller à Amboise ! Merci de ctte précision Jean-Marc.